La pédiatrie du CHU-Campus

Publié le 11 Juillet 2015

La seule chose que l’hôpital possède en abondance, c’est les moustiques et le nombre de stagiaires infirmiers, qui débarquent par fournées de 30/40 dans le service et se répartissent les jours-gardes, pour au final être 3-4 par salle (6-8 par jour)

+ Les sages-femmes (sage-femme ici s’entend à un sens plus large qu’en France).

Les études médicales au Togo sont difficiles (alors qu’en France, ah ah ! c’est la rigolade) :

les premières années sont sélectionnés sur dossier (600 de pris sur au moins 1000 dossiers) et seuls les 80 premiers accèdent à la deuxième année, et j’ose espérer que ce nombre se stabilise pour les années qui suivent.

On peut se faire sortir des études médicales chaque semestre. Si on loupe un examen, il n’y a pas de rattrapage, et le redoublement peut coûter trop cher a des étudiants n'ayant pas forcément les moyens. Et tout ça pendant 7 ans. Après 7 ans, ils sont thèsés (= Dr), mais ils peuvent choisir de poursuivre leurs études pour 4 années supplémentaires pour se spécialiser (les DES). À savoir : les DES ont manifesté récemment pour que leurs gardes soient correctement rémunérés, et non pas avec un équivalent en France d’une paye de garde d’externe. Edit : Ils protestaient en fait pour que la maigre rémunération qu'ils sont sensé toucher leur soit versée...

À savoir : seules 11 spécialités médicales sont disponibles au Togo (pas la cancéro). Si on veut faire une spécialité non disponible, il faut aller dans d'autres pays d'Afrique de l'Ouest voire plus loin (Maroc) pour rechercher une meilleure formation.

Les études de sage-femme durent 3 ans. Elles s’occupent de l’accouchement et de l’accompagnement des femmes enceintes, de la prévention et de la vaccination des parents et de leurs enfants. Elles doivent également être capable de poser des perfusions et de faire un certain nombre de soins infirmiers, et être capable d’orienter les parents d’un enfant vers l’hôpital lorsque cela s’avère nécessaire. Je pense que s’il n’y a qu’une sage-femme dans un village comme recours médical, c’est elle qui doit également proposer diagnostic et traitement adéquat.

Les infirmiers ont une formation de 3 ans. Ils doivent savoir effectués tous les actes infirmiers comme en France, mais également connaître la prise en charge des pathologies les plus courantes (paluuuuuuu), car s’ils décident de s’installer dans des villages/lieux éloignés de tout centre vaguement hospitalier, ils seront le premier recours médical. Ils devront alors poser des diagnostics et prescrire les traitements adéquats.

Matériel infirmier "à volonté" du service sur la table de droite

Matériel infirmier "à volonté" du service sur la table de droite

Dans le service de pédiatrie de Campus, il y a comme matériel de soin disponible immédiatement pour les soignants : de l’oxygène en énormes bonbonnes de 2m de haut, du coton, un probable antiseptique transvasé dans les flacons déjà utilisé de SHA (Solution Hydro-Alcoolique, profane !), du SHA si on grogne longuement auprès des infirmiers/du surveillant/des gardes-malades/de tout ce qui bouge, un Babyhaler (et si on tombe le bon jour le salbutamol et le fluticonasone associé. ou l’un des deux. ou zéro) et en trucs planqués qu’il faut chercher longtemps : un stéthoscope, 2 brassards à tension adaptés au nourrisson et à l’enfant, un mètre de couturière, 1 garot par salle. Il paraitrait qu’il y a aussi des aiguilles et des seringues de 25mL pour les prises de sang, mais il doit falloir donner un code au surveillant pour y accéder, et il faut du temps pour les récupérer à chaque fois.

Voilà.

Et là si on commence à réfléchir 5 minutes, on se rend compte que tout devient très compliqué.

Un enfant est en hypoglycémie ? Pour commencer, comment savez-vous qu’il est en hypoglycémie ? Il n’y a pas de glycotest disponible. Seuls quelques infirmiers en possèdent. S’ils ne sont pas de garde le bon jour, on ne pourra pas surveiller les glycémies. Mais fi de tout cela vous dites-vous, si je veux surveiller les glycémies, je demanderai au laboratoire de faire ça, j’aurais au moins 3-4 glycémies par jour !

Pour avoir un examen au laboratoire, il faut donc que le médecin (ou l’infirmier) remplisse un bon de demande. Puis on remet le bon aux parents. Puis on dit aux parents d’aller au laboratoire pour aller payer l’examen. Les parents font la queue et vont au laboratoire. Puis ils reviennent avec les tubes pour la prise de sang (bah oui, où vous voulez le mettre le sang sinon), s’ils ont pu payer (je vous passe les détails de la case « cas sociaux » = service sociaux par lequel doivent passer les parents qui ne peuvent pas payer, pour chaque examen/ordonnance, en espérant qu’on leur accorde). Puis les parents doivent trouver l’équipe infirmière et lui remettre le bon payé et les tubes. Il est 11h ? C’est dommage, l’examen ne sera pas fait. Après 10h, pour les prises de sang, on ne pique plus que le TH-NB (Taux d’Hémoglobine-Nombre de globules Blancs) et la GE-DP (Goutte Épaisse - Densité Parasitaire (test du palu)). Revenez demain matin. Une glycémie journalière est le maximum que vous pourrez obtenir du labo, et encore faut-il que les parents acceptent le coût de l’examen.

D’autres paramètres à prendre en compte ? Mais aucun problème les amis : les parents ne parlent pas la langue (le Togo compte plus d’une centaine de langue, 30% des togolais parlent français, les autres les dialectes de leur ethnie uniquement), n’ont pas compris, la mère attend que le père revienne avec de l’argent pour payer l’examen, c’est un type aléatoire sorti d’on ne sait où qui paye les examens, les parents achètent les tubes mais ne savent pas qu’il faut les donner à l’équipe, les parents payent l’examen mais on ne leur donne pas les tubes (retour à la case labo), les erreurs d’identification sur les bons, les parents payent et font tout bien mais le laboratoire n’a plus le réactif pour faire l’examen (une semaine qu’on ne peut plus faire de CRP à l’hôpital), les parents oublient un des bons d’examen (pour ceux qui s’imaginaient qu’on pouvait prescrire NFS-iono-créat-bilan hépatique sur le même bon => non), les parents sont assurés par l’INAM (seul organisme d’assurance au Togo) = shgling ! vous venez de gagner 2 autres bons supplémentaires à remplir, etc etc.

Ah enfin ! Tout est en ordre, vous pouvez commencer la prise de sang. On glisse donc une chaise près du lit du patient, un infirmier plus ou moins aidé du parent présent tient l’enfant (qui hurle), un autre infirmier a pris une lampe torche ou une lampe de bureau branché à la prise la plus proche pour éclairer le piqueur. Le tube est prélevé et amené au labo assez rapidement. Pour un tube prélevé à 8h, on peut espérer un résultat vers 16h si tout se passe bien. Si on marque URGENT en gros, on peut espérer une réponse rapide pour un NB-TH.

L’enfant est finalement en hypoglycémie. Il faut donc le resucrer pour ceux qui suivent au fond. Disons qu’il est dans le coma. Il faut donc le perfuser et lui mettre du G10% par les veines par exemples. Rebelote : prescription, remise de bons aux parents qui cette fois vont à la pharmacie récupérer le cathéter, le circuit de perfusion, et un petit carton plein de poches de G5%-G10% selon les goûts et les besoins. S’ils peuvent payer. Oh et sont-ils à l’INAM ?

C’est sans fin.

Les infirmiers disposent de 3-4 paires de gant non stériles pour la journée par salle. Pour 10 patients.

La pédiatrie du CHU-Campus

Il n’y a pas de service hôtelier. Les parents ramènent les draps pour le lit, la nourriture pour tous les repas, se chargent de la toilette de leur enfant, nettoient s’il vomit, changent les couches, avertissent si leur enfant convulse…

Et tient, s’il convulse justement ? Et bien c’est reparti : prescription de médicament, allez-retour à la pharmacie pour un parent, et on va espérer que la voie veineuse soit déjà posée. Et que la pharmacie ait suffisamment de stock du médicament choisi, ou bien les parents devront aller en chercher ailleurs en ville.

Aujourd’hui, il n’y avait plus de de phénobarbital.

Aujourd’hui également, on a laissé plusieurs heures un enfant en état d’obnubilation (coma quoi) sans antibiotique, parce que la voie veineuse avait été difficile à poser, et qu’on ne voulait pas risquer de faire péter la veine avec l’antibiotique avant d’avoir pu passer la poche de sang que le père a mis un temps démentiel à ramener (2500 F la poche de sang pédiatrique).

Il y a un toilette et une douche par salle de 10. Avec l’eau courante, c’est déjà ça.

Il n’y a pas de compresse stérile dans le service.

Il n’y a pas de matériel pour laver un lit. On prend du coton et l’antiseptique d’origine inconnu.

Les lits ont des moustiquaires. Les lits n’ont pas de barrières. Les lits sont taille adulte uniquement. La plupart du temps, un des parents reste dormir avec son enfant la nuit, dans le même lit.

La hauteur des lits n’est pas réglable. La deuxième ponction lombaire que j’ai faite, l’enfant était en chien de fusil, et j’ai effectué le geste à genoux par terre.

Les lits n’ont pas tous de freins.

Il y a des pierre (même une énorme brique grise pour aider un enfant à descendre/monter de son lit (taille adulte on a dit)) pour bloquer les roues des lits sans frein.

Il n’y a pas de masque, il n’y a pas de tablier jetable (il en existe 2 lavables pour les 2 salles), il n’y a pas de charlotte pour les cheveux.

Il n’y a pas de lavabo dans les salles pour les soignants, il faut aller près de la salle de garde pour se laver les mains. L’autre jour, l’eau à coupé quand j’avais les mains pleines de savon.

Les tenues hospitalières sont à la charge des employés, et relèvent de leur responsabilité... Bon ça c’est plutôt rigolo, y en a qui ont des tuniques un peu personnalisé, ça change (ça aide à retrouver les gens aussi, pour ceux qui n'auraient pas la mémoire des visages).

La pédiatrie du CHU-Campus

Rédigé par Marie

Publié dans #hôpital

Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
M
Pour le coup, Papa pourrait exercer ici! "Un dafalgan, et tout est soigné!"
Répondre
C
Je ne sais pas s'il y a du dermofil pour les maux que le dafalgan ne soigne pas ...
A
Eh bah dis donc c'est le système D !!!! <br /> Tu as bien du courage Marie !! Suis admirative ^^
Répondre